NOUS SOMMES DIFFÉRENTS, MAIS NON-SÉPARÉS
Enrique Martínez LozanoJn 15, 1-8
L'allégorie de la vigne et des sarments, chargée de symbolisme, profondeur et beauté, nous introduit directement dans la sagesse de la non-dualité.
Certes, la vigne et les branches sont non-deux. L'esprit dualiste ne peut les voir que séparés – ce qui est caractéristique du mental c'est de séparer la réalité -, mais il n'y a aucune séparation. Il est vrai que le sarment peut être perçu comme sarment, mais pas pour cela il laisse d'être vigne. Une branche est un arbre, tout comme mon doigt est mon corps.
Le piège réside dans le fait que le mental, en séparant - la première caractéristique du mental est la séparativité, puisque c'est la seule façon dont il peut fonctionner -, il ne regarde alors que la branche, la branche ou le doigt. Cela donne lieu, ainsi, au dualisme qui fracture sans cesse toute la réalité.
Quand nous sommes capables d'apaiser le mental, nous réussissons à voir "au-delà" de ces séparations apparentes, percevant l'unité de ce qui est. Avec un autre exemple: face à un ensemble de bijoux en or, le mental voit la spécificité de chacun d'eux avec leur propre nom et leur forme particulière. Mais, si nous ne restions pas aux formes, nous percevrions l'or qui est, en fait, la seule réalité qui est présente en chacun d'eux. Nous sommes différents, mais non-séparés: nous ne sommes pas égaux, mais nous sommes la même chose.
L'allégorie parle de "couper" et "d'émonder". Encore une fois, il semble nécessaire de rappeler qu'il ne faut pas lire de telles affirmations en clé de menace, mais comme une parole de sagesse. Bien que dans cette cosmovision, à partir de l'image d'un Dieu interventionniste, on attribuait tout directement à lui, nous pouvons aujourd'hui mieux en saisir le sens, comme une description de ce qui arrive.
Tout comme il est impossible que le sarment déconnecté de la vigne puisse produire des fruits, de la même manière, la personne qui vit déconnecté de son fond, va expérimenter son existence comme un vide. Et il ne sera pas étonnant qu'elle se sente étteinte et vide de sens.
"L'émondage" est une partie inévitable du tout le processus de croissance. En bref, il pourrait être exprimé de cette manière: il sagit de mourir à ce que nous ne sommes pas, afin que ce que nous sommes vraiment puisse vivre.
En ce sens, cela nous rappelle cette autre parole de Jésus sur le grain de blé, qui ne porte de fruit que lorsqu'il est enterré (Jn 12:24): la fécondité est en proportion directe à la mort. En dernier terme, il s'agit de l'émondage du je (moi) – que nous croyons être - pour que la Vie que nous sommes vraiment puisse se déployer.
Grâce à l'émondage, le sarment devient tout simplement «véhicule» de la vigne, dès la conscience d'être lui-même vigne.
L'émondage peut surgir d'une décision à nous, caractéristique à tout chemin spirituel, ou peut provenir d'une manière inattendue, sous forme de crise de toute sorte. Dans ce dernier cas, nous sommes souvent surpris et, parfois, même ébranlés. Cependant, justement ce que nous surprend et nous rémue peut être la meilleure occasion pour un émondage efficace. Pour que ce soit ainsi, avec lucidité et humilité, nous aurons à nous situer dans la conscience de cela même qui nous arrive, dès l'acceptation la plus profonde, nous y abandonnant et nous laissant faire par la Vie.
Enrique Martínez Lozano
Traducción: María Ortega